Guinée : Lella, la jeune entreprise qui rivalise les produits importés

Il est rare de trouver de femmes qui possèdent des entreprises de production et de transformation de poulets de chair en Guinée. Cependant, Madina Dansoko a posé un geste inhabituel qui lui permet de lever sa tête haute. Agée de 32 ans, elle dirige Lella SARL, une entreprise de production des poulets de chair et de transformation de produits frais non importés, installée dans la haute banlieue de Conakry, depuis 2 ans. Aussi, elle est la première guinéenne à installer un abattoir moderne de volaille.

Mamadou Aliou Diallo

Ledit abattoir est situé à 70 km de Conakry. Cette agro-industrie fait une production journalière de 3000 poulets. Le coût de la réalisation est de 3 milliards GNF (30 000 euros), avec environ 90% de femmes sur les 30 employés directs, issus essentiellement de la jeunesse.
Née à Dalaba, au Nord-Est de la Guinée, elle est l’aînée d’une famille monogame. Mère de quatre enfants, Madina s’est lancée comme défi: « de freiner les importations des poulets de chair au profit de la production locale ». Les poulets qu’elle élève en Guinée sont faits en charcuterie, en burger, en saucisson, en saucisse, etc. Elle a pour ambition d’être le leader sur le marché de la charcuterie et de l’agroalimentaire en Guinée. Avec son équipe de 30 employés, dont la majorité des femmes, Mme Diallo mène un combat d’homme pour « développer l’agro-alimentaire » dans son pays.

Son parcours

Madina Dansoko n’a pas fait de grandes études pour entreprendre. Née dans une localité où la scolarité des enfants n’est pas prioritaire, ses parents l’ont envoyé à Conakry loin du village. « Mes parents ont choisi de m’envoyer dans un internat pour éviter de rester dans la famille », se souvient-elle. Après son Certificat d’étude primaire (CEP), elle est rentrée à Labé où son père était installé avec sa famille, après sa retraite. Les doigts croisés, un léger sourire, Madina relate que c’est à Labé qu’elle fait son collège. « Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, je n’ai pas fait de grandes études. Après mon brevet d’étude du premier cycle (BEPC), je me suis mariée. Puis j’ai fait 3 ans de formation en comptabilité dans une école professionnelle».

Madina Dansoko

A la question de savoir pourquoi n’avoir pas poursuivi les études, l’entrepreneure, souriante, la main à l’oreille gauche, raconte : « pendant l’année scolaire et les vacances, je travaillais dans l’entreprise familiale. Et j’étais un peu rémunérée. L’école et l’activité tout étaient  mélangées. Etant l’aînée de la famille, mon père voulait que ses enfants s’impliquent et qu’on fasse tous ce qu’il fait ».

L’élevage et l’agriculture ne sont pas des activités auxquelles un enfant de 15 à 18 ans veut se retrouver tous les temps. « Au fur et à mesure, j’ai aimé ce qu’il faisait, j’ai adopté et je continue à le faire. Maintenant, c’est ma passion et c’est ma vie », dit-elle avec fierté. « Après tout, je me suis mariée, mais ce n’était pas un problème d’être mariée et continuer les études. Toutefois,  l’activité a emporté ».

L’ambition et l’expérience acquisent chez les autres

L’ambition de réussir dans la transformation est très tôt née chez Dame Dansoko. Forte d’une expérience acquise dans l’activité de l’élevage des poules pondeuses dans la ferme familiale et ses voyages dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest, Dame Dansoko doit sa ‘’ motivation et sa réussite’’ par la constance dans ses démarches.

« Avec mes multiples voyages au Sénégal, Mali, Côte D’ivoire, j’ai constaté que l’élevage des poulets de chair est bien développé » affirme-t-elle dans un ton rassurant, mettant en exergue ce qui a permis à ces pays de réussir dans le secteur agroalimentaire.
« Au Sénégal par exemple, ils ne consommaient que ce qu’ils produisaient, les importations sont interdites, en Côte D’ivoire et au Mali, les importations sont taxées. Ils favorisent la production locale. Et ça me donne aussi l’envie d’offrir à tous les guinéens ces bonnes choses parce qu’on peut le faire ici », estime-t-elle.

Expériences manquées, naissance de Lella

« En 2011, se souvient-elle, j’ai essayé de faire des poulets de chair avec une quantité de 300 poulets. Mais je n’avais pas réussi parce qu’il fallait avoir le poids qu’il faut à la date qu’il faut. J’ai arrêté après parce que ce n’était pas connu aussi en Guinée ».
Alors que son principale ambition est de freiner les importations des poulets de chair, Madina Dansoko ne parvient pas à atteindre cette ambition à ses premiers essais. Pourtant, à chacune de ses sorties hors du pays, elle constate que ça évolue ailleurs. Ainsi, décide-t-elle de réessayer, et de réessayer encore. « ça n’a pas marché et ça ne m’a pas découragé non plus, jusqu’à ce que j’ai atteint la bonne formule pour obtenir le bon poids à la bonne date ».

De l’imperfection à la perfection

Lella

La première fois que Dame Dansoko a décidé de produire des poulets de chair et proposer aux supermarchés de Conakry a été une étape incontournable pour sa persévérance et sa « réussite » aujourd’hui.
« La première fois que j’ai plumé, emballé et réfrigéré, je l’ai mis dans une glacière et j’ai été proposer aux superettes. Le 1er supermarché où je suis allée est tenu par une femme libanaise. Dès que j’ai ouvert ma glacière et soulevé la poule, elle m’a dit qu’on ne vend pas ce genre de produit ici », se rappelle-t-elle sur un éclat de rire. Rapidement, Mme Diallo tire la leçon. « J’ai compris un que ce n’est pas bien emballé et que c’était ma première expérience ».

Madina ne s’est pas arrêtée en court de chemin. Partie dans un autre supermarché tenu par une femme libanaise aussi, cette dernière a été catégorique : « nous ne vendons pas des produits guinéens. Tout ce qu’on vend ici est importé », (me dit-elle), se souvient l’entrepreneure.
« J’ai été vraiment choqué. Ça ne m’a pas découragé. Plutôt, le fait de me rejeter m’a donné envie de les prouver que c’est possible de produire local et de distribuer dans les supermarchés. Je me suis dit qu’il faut que les supermarchés vendent des produits guinéens en Guinée. Je me suis assignée de faire un produit adapté aux supermarchés. Je me suis battue pour me fournir en emballage afin d’améliorer la qualité. Et aujourd’hui ça marche», se soulage celle qui n’aime pas penser à l’échec.

Pour arriver à la perfection, la pionnière de la transformation du poulet de chair en Guinée, rencontre à Dakar, lors d’une foire agricole, son mentor dans la charcuterie. Elle, c’est une femme française qui vend des équipements de charcuterie pour des petits fabricants. « De Dakar, je suis partie avec elle en France où j’ai fait une formation sur l’utilisation et j’ai fait la commande de tout ce qui me fallait avoir pour produire », confie-t-elle.
Expérience acquise, dès son retour en Guinée, en lieu et place des poulets entiers, elle vend plus de la charcuterie. D’où l’histoire de la naissance de Lella, il y a deux ans, et la venue de la charcuterie en Guinée.

La valeur ajoutée chez Lella, c’est de produire 100% local pour que le guinéen puisse consommer des produits consolidés par des guinéens aussi. « On a de la viande produite ici qui n’a pas d’OGM. Les animaux que nous élevons ici consomment à peu près les mêmes aliments que nous. Du maïs, du thon, … c’est du sain et du frais ».

Lella Chiffres

10 000 Poulets de chair /mois
1000 kg : de charcuterie par mois
Poulets: chiffre d’affaires 250 à 300 millions francs guinéens (GNF) soit 25 000 à 30 000 euros en 45 jours.
Charcuterie : 200 millions GNF (20 000 euros) par mois.
Coût investissement charcuterie pour une production de 3 mois avec tout ce qu’il faut : 300 millions GNF (30 000 euros).
Emplois permanent : 10 dont chauffeur, livreur, gestionnaire, comptable etc.

Quid des défis ?

Le principal défi auquel est confrontée la promotrice de Lella, reste la ressource humaine locale, qualifiée dans son domaine. « Je me qu’il est plus difficile d’avoir ici un employé compétent que d’avoir son capital pour travailler. On peut avoir le capital, mais si on n’a pas les compétences nécessaires, ce n’est rien », clame-t-elle.
Les difficultés de Madina Dansoko sont liées entre autres à la production, faute d’électricité et d’eau. Elle déclare : « le manque de courant impacte beaucoup sur la conservation de nos produits ».

La méconnaissance des produits Lella sur le marché guinéen est un autre handicap, souligne la directrice. « Au niveau de la distribution des produits, c’est très compliqué parce que c’est un nouveau produit sur le marché. Les guinéens n’ont pas l’habitude de l’acheter sur place. Ils sont habitués aux produits importés. Qu’ils aient confiance en nous sur l’hygiène », rassure-t-elle.

Aussi, les produits ont du mal à se faire une place de vente dans certains supermarchés. Sur un marché où la concurrence est rude, nonobstant la différence des qualités, Lella se paie un peu plus cher que les produits importés. « Cette concurrence-là est un peu difficile quand vous vendez un produit et vous êtes plus chers que votre concurrent. La différence des prix est difficile pour les restaurateurs et les hôtels. Mais pour les supermarchés, ça va. Parce que celui qui rentre dedans, s’il en veut il achète », admet Madinan Dansoko.
Pour faire écouler leurs produits, Lella sensibilise ses clients en leur donnant des échantillons des poulets de chair et de charcuterie. « On laisse le choix à chacun d’adopter le produit qui le convient ». Parce que « nos poulets de chair sont faciles à cuire, ils ont plus de goût, ils sont frais et naturels. Les importés sont des poulets de réforme », sensibilise Dame Dansoko.

Actuellement, les efforts de Dame Diallo se focalisent sur la construction d’un abattoir avant de commencer la communication sur les produits. « Quand on communique on espère que les clients vont venir et qu’on aura quelque chose à les distribuer. Pour le moment, je vais vers les supermarchés, les hôtels et les restaurateurs pour faire la promotion de nos produits», explique-t-elle.

Secret du succès

Celle qui « vise très loin » dit être à ses premiers pas encore. Elle ne considère pas ce qu’elle a fait jusque-là soit une réussite ou un succès. « Je viens de commencer », dit-elle. « Mais je dirais que le risque, le goût de la qualité, l’envie permanent de réussir constituent mes secrets », conclut Madina Dansoko, toujours souriante.

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